Produire en France, c’est bien. Pouvoir produire en France, c’est mieux. Pour les grandes maisons de maroquinerie, le savoir-faire français est un gage de qualité et d’image à l’international. Mais comme de nombreux secteurs, les compétences se font rares dans le domaine de la filière « textile-cuir-habillement ». Outre le fait que les métiers manuels ont longtemps et à tort été déconsidérés, la pyramide d’âge des « sachants » n’est guère favorable au recrutement pour les ateliers de production qui ont retrouvé de l’allant ces dernières années*.
L’un des premiers à tirer la sonnette d’alarme a été Jean-François Rioland, qui s’est retrouvé confronté à ce problème de main-d’œuvre alors que les commandes des donneurs d’ordre affluaient. Pour rappel, le Groupe Rioland a ouvert un nouvel atelier dédié à la maroquinerie cours Saint-Luc à Châteauroux en 2017 (avant un second dès 2021 dans la zone des Fadeaux, toujours pour de la maroquinerie) pour toucher une nouvelle population après celle du nord de l’Indre, où il compte déjà plusieurs ateliers à Luçay-le-Mâle (accessoires), Valençay et Vicq-sur-Nahon (maroquinerie) ainsi qu’à Baudres (logistique, préparation des cuirs, composants et siège social).
Un « pari fou » qui marche
Le chef d’entreprise avait soumis dès 2017 à Soizic Henrio l’idée de créer son propre plateau technique privé et indépendant aux métiers de la maroquinerie, ce qu’elle fit en lançant Eshange Maroquinerie Usine Ecole (EMUE) quelques mois plus tard. Rejointe par Sébastien Linossier, ils ont installé courant 2020 leur premier Atelier de formation cours Saint-Luc à Châteauroux. « Un pari fou » pour le couple qui a tout mis en œuvre depuis pour répondre à cette demande encore plus prégnante depuis la crise sanitaire et le souhait de l’État de vouloir réindustrialiser la France et porte aujourd’hui ses fruits, et qui marche avec 95 % d’embauche à la sortie pour les stagiaires.
Le premier atelier Eshange maroquinerie usine école (Emue) ouvre alors ses portes courant 2017 non loin du site occupé par le Groupe Rioland. Une trentaine de stagiaires, envoyés par Pôle emploi y apprennent les gestes de base du métier pendant quatre à dix semaines. D’autres promotions vont suivre régulièrement, jusqu’à ce que les deux dirigeants n’aient l’envie de franchir une étape supplémentaire, en répondant à un appel à projet lancé par le Ministère du Travail (via le Fonds de développement de l’inclusion), en créant Eshange Métiers d’art ou EMA fin 2020 à quelques dizaines de mètres de EMUE.
EMA, émanation d’EMUE
Cette entreprise d’insertion, qui peut accueillir jusqu'à douzaine de salariés, a été lancée pour proposer des articles de haute maroquinerie personnalisés aux professionnels et institutionnels, dans une démarche sociale (créations d’emplois) et responsable (confection traditionnelle assurée avec des cuirs de qualité du département). Elle a reçu une aide de 214.000 € du programme gouvernemental France Relance qui a permis de compléter une partie du parc machines de 600.000 €.
L’objectif d’EMA est double : il s’agit non seulement de former sur douze mois de « nouvelles jolies mains » avec polyvalence aux savoir-faire de base de la maroquinerie (couture mains, piqure machine, travail de table, de préparation du cuir sur des peaux issues notamment des mégisseries Rousseau de Levroux), mais aussi et avant tout de ramener des personnes les plus éloignées de l’emploi vers le monde du travail en œuvrant sur leur savoir-être (ponctualité, rigueur, relations sociales et engagement) avec bienveillance et écoute. « La plupart des collaborateurs d’EMA n’avaient pas touché une machine avant d’arriver chez nous », précise Sébastien Linossier. « Notre but est de les accompagner dans leur apprentissage des savoir-faire de base de Haute maroquinerie, avec le savoir être attendu, tout en les soutenant dans leurs projets personnels ». Au terme de leurs parcours chez EMA, les dirigeants proposent les candidatures de leurs stagiaires auprès de leur réseau de façonniers, d’Artisans de la maroquinerie et de la confection.
Un taux d’employabilité maximal
Bien que né en pleine période Covid-19, ce nouvel établissement « se développe bien aujourd’hui, parce que la maroquinerie de luxe a repris des couleurs, après un léger creux » selon le directeur général des deux entités. Désormais, EMA produit en petite, moyenne, voire grande série de la petite maroquinerie, des accessoires, des cadeaux corporate ou protocolaires selon les demandes de ses clients, dont Châteauroux Métropole, le Département de l’Indre et divers industriels du territoire font partie.
Un petit show-room destiné à faire la promotion de ces objets personnalisables à volonté (de 50 à 5 000 pièces grâce à une machine de découpe numérique, des machines de gravure et marquage, etc.) a ainsi été présenté fin juin lors de l’inauguration de l’atelier. Un site internet et une page Instagram dédiés seront créés d’ici la fin de l’année afin de mettre en avant cette production.
Preuve de la qualité des formations dispensées dans cet atelier visité par Brigitte Klinkert, alors ministre déléguée à l’Insertion auprès de la ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, il y a quelques mois, les trois premiers collaborateurs d’EMA quittent le nid ces jours-ci « en sortie dynamique », c’est-à-dire avec à la clé un CDD de plus de 6 mois ou un CDI chez un façonnier de maroquinerie de luxe ou encore un atelier de fabrication de peluche de luxe.
Pour Emue, ce ne sont pas moins de 95 % des 1 000 premiers stagiaires qui ont rejoint les façonniers et grandes maisons de la maroquinerie de luxe à l’issue des formations proposées dans toute la France.
Des ateliers en perpétuel développement
En bons chefs d’entreprise, Soizic Henrio et Sébastien Linossier visent déjà le coup d’après, pour « s’adapter à la demande de [leurs] clients » et de ceux qu’ils ont déjà rencontrés sur des salons comme Made in 36 en juin dernier à Châteauroux. De nouveaux débouchés vers l’hôtellerie ou l’automobile de luxe sont espérés pour développer les productions de l’Entreprise d’Insertion.
Le centre de formation, quant à lui pourrait à court ou moyen terme proposer une autre formation diplômante de niveau Bac maroquinerie pour « capter de nouveaux profils et de nouveaux talents ». Enfin, des investissements dans des outils de traduction pour intégrer à terme neuf réfugiées ukrainiennes proposées par la Préfecture de l’Indre ont également été réalisés.
* Pour mémoire, dans l’Indre, ce secteur « textile-cuir-habillement » représente à lui seul 50 entreprises et 2 000 salariés, soit un tiers des emplois industriels du département.