Comme c'est la tradition, chaque année, le directeur départemental de la Banque de France vient présenter à un parterre de chefs d'entreprise, d'édiles et de représentants des organismes professionnels le bilan économique de l'année écoulée et les perspectives pour l'année en cours. Après deux années dans les locaux de la CCI, cette "conférence" a été donnée dans ceux de la Chambre de métiers et de l'artisanat de l'Indre.
En prélude à la prise de parole de M. Attal, Nicolas Cousin, président de la CMA, a fait part de ses inquiétudes pour les petits commerces très impactés par la flambée des coûts de l'énergie : "Beaucoup de boulangers se posent la question de faire une chauffe de four en moins par semaine, pour compenser. D'autres se demandent même s'ils vont pouvoir continuer leur activité. J'ai en tête deux établissements qui viennent de fermer à Tournon-Saint-Martin et au Poinçonnet. Il y a aussi le cas de menuiseries ou de fonderies, très impactées par les hausses des prix des énergies qui passent parfois au travers de toutes les aides gouvernementales. Ce sont autant d'emplois en moins, des gens qui aiment leur travail et qui se retrouvent ainsi sur le carreau."
Jérôme Gernais, président de la CCI Indre, a confirmé que les entreprises industrielles, les commerces et les sociétés de services souffraient beaucoup actuellement d'une "succession de crises de plus en plus rapprochées et de plus en plus fortes". Il notait également que "l'économie se trouvait toujours plus sous perfusion des aides de l'Etat, ce qui avait permis de sauver bon nombre d'établissements", mais que "cela allait devoir nous amener à nous poser des questions pour l'avenir, les chefs d'entreprise n'ayant pas pour vocation de vivre de subventions ou d'aides, mais bien du fruit de leur production."
L'exposé d'Yves Attal concernant la conjoncture économique a d'abord évoqué le ralentissement attendu de la croissance nationale en 2023 (+0,3%), avant un "redémarrage progressif" en 2024 et 2025 (respectivement +1,2 et +1,8 %). Une situation due notamment au fait que le rebond post-Covid s'est heurté à une forte hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation (augmentation de 6 % de l'Indice des prix de consommation harmonisé - IPCH - en 2022 et en 2023) qui a coupé net la reprise générale de l'économie. En 2024 et 2025, si le prix du baril de pétrole se stabilise aux alentours des 70 $ et que le prix du gaz poursuit sa décrue, les prévisions (qui se font sur les marchés à terme) semblent amorcer un retour à une économie apaisée.
Dans l'industrie, le choc sur les prix de l'énergie aurait fait augmenter la facture énergétique de 68 % en moyenne sur un an ! Ces hausses de coût ont entraîné 61 % des entreprises à augmenter leurs prix finaux. 55 % d'entre elles ont réduit leurs marges. Le risque d'insécurité énergétique fait désormais partie intégrante dans la réflexion des chefs d'entreprise, puisque 95 % d'entre eux s'y estiment exposés (loin devant le risque de transition - 84 % - et le risque physique - 77 %). Côté positif, cela a incité 9 entreprises sur 10 à mettre en oeuvre des mesures d'économies d'énergie et près de 7 sur 10 à déployer des mesures d'efficacité énergétique.
Concernant l'évolution des taux de marge des sociétés non financières, il apparaît que ces derniers devraient retrouver leur niveau d'avant Covid en 2025. Si les difficultés de recrutement restent toujours préoccupantes à des niveaux très élevés pour tous les secteurs d'activité (41 % pour l'industrie, 54 % pour les services, 59 % dans le bâtiment), les difficultés d'approvisionnement semblent s'estomper (31 % des entreprises du bâtiment s'en plaignant encore en janvier 2023 contre 55 % en mai 2022, des chiffres à rapprocher de l'industrie : 33 % début 2023 contre 64 % en avril 2022), alors que les carnets de commandes sont encore abondants fin 2022 tant dans l'industrie que dans le bâtiment et les travaux publics.
Une enquête régionale qui "colle" au national
Pour autant, au niveau régional, l'enquête réalisée en septembre dernier par les services de la Banque de France démontre que selon les secteurs, les situations varient. L'activité a repris, assez fortement dans l'industrie et les services, de façon moindre dans le bâtiment.
L'effet prix donne un signal trompeur quant à l'augmentation moyenne du chiffre d'affaires des entreprises industrielles (industries agricoles et alimentaires, équipements électriques et électroniques, fabrication de matériel de transport, fabrication d'autres produits industriels) : celles-ci annoncent un CA en hausse de 10 % en 2022, gonflé par la répercussion des hausses des énergies (+15,9%). Les effectifs repartent à la hausse (+2%) et les investissements retrouvent une bonne dynamique (sauf dans l'automobile). Les perspectives pour 2023 s'annoncent ainsi encourageantes mais difficiles à évaluer.
La construction (gros oeuvre, second oeuvre et travaux publics) vit des heures difficiles avec une augmentation moyenne du CA de 1,9 %, due en très grande partie à la hausse des prix (+6,3%). Les difficultés de recrutement et la baisse des investissements n'incitent pas à l'optimisme même si la rentabilité devrait se stabiliser en 2023.
Quant aux services (transports routiers de marchandises et services informatiques), ils sont sur une "bonne dynamique malgré la hausse des prix" (CA en hausse de 11,7 % alors que les prix ont augmenté de 7, 5% ) et une baisse des investissements, avec une stabilité des effectifs. Une légère croissance est ainsi anticipée.
Attention, toutefois, à ne pas se bercer d'illusions devant des prévisions plutôt optimistes, comme le précise Christian Bodin, directeur de la SETEC : "les entreprises de TP de l'Indre vivent essentiellement des marchés publics, selon une proportion de 80 % public / 20 % privé. Or, les collectivités sont fortement impactées par les hausses de coûts des énergies et décalent, retardent ou annulent purement et simplement des chantiers de voirie." Pour Jérôme Gernais, il faut savoir raison garder : "Si le secteur aéronautique est très bien reparti, les grands donneurs d'ordres demandent aux sous-traitants de baisser les prix dans un contexte où c'est impossible. Le secteur automobile connaît une très grosse baisse d'activité (près de 2 millions de voitures produites en moins sur le sol national et passage du thermique à l'électrique, qui impacte sur l'activité des sous-traitants traditionnels). Les gros vendeurs textiles sont en plein tsunami, avec des fermetures d'enseignes nationales (Camaïeu...). " Après deux années sans trop de casse, le nombre de défaillances d'entreprises retrouve ainsi peu à peu le niveau qui était le sien dans l'Indre avant le Covid.
Pour Hervé Pouyanné, directeur départemental des Finances publiques, il y a ainsi "encore six mois délicats à passer, avec des indicateurs intéressants et positifs qui donnent de l'espoir quant à une sortie de crise : la baisse des prix des énergies et les besoins en main-d'oeuvre des entreprises qui démontrent que la production repart."